Marques dans l’univers numérique et le métavers

1. Contexte et enjeux actuels

L’émergence du métavers — ces univers virtuels immersifs où les utilisateurs, représentés par des avatars, interagissent, créent et effectuent des transactions — transforme profondément le paysage de la propriété intellectuelle. Les titulaires de marques doivent désormais protéger non seulement des biens matériels, mais aussi des actifs immatériels (NFTs, avatars, objets virtuels). Ils doivent également gérer des infrastructures globales sans frontières et s’adapter à des usages largement repensés.

Les plateformes numériques deviennent ainsi des points de contact commerciaux stratégiques. Des univers comme Roblox et Fortnite accueillent déjà des marques prestigieuses telles que Nike, Gucci ou Balenciaga, qui y commercialisent des biens virtuels et organisent des événements exclusifs. Nike y a par exemple créé « Nikeland » dans Roblox, un espace immersif avec mini-jeux et avatars habillés en produits exclusifs, tandis que Fortnite a organisé des concerts virtuels uniques rassemblant des millions de spectateurs, comme ceux de Travis Scott ou Ariana Grande. De leur côté, des environnements décentralisés basés sur la blockchain, tels que Decentraland et The Sandbox, permettent à des entreprises comme Samsung ou Estée Lauder de créer des espaces immersifs dédiés à la valorisation de leurs produits.

2. Protéger sa marque dans le métavers : stratégies et défis

a) Dépôts anticipés et classification adaptée

Pour anticiper ces enjeux, les entreprises doivent adapter leurs dépôts de marques aux nouvelles réalités numériques. La dernière édition de la classification de Nice intègre désormais des libellés spécifiques relatifs aux actifs virtuels et aux services associés, notamment en lien avec les fichiers numériques, les articles virtuels et les services commerciaux liés aux NFT.

Ce type de protection permet d’invoquer ce que l’on appelle une “double identity attack” : même si les biens en cause sont virtuels, l’usage d’un signe identique peut être considéré comme une contrefaçon directe, car son impact sur le consommateur est le même que pour un produit physique.

Un exemple marquant est l’affaire Hermès contre Mason Rothschild, qui avait lancé des NFTs baptisés « MetaBirkins ». Bien que purement numériques, ces biens reprenaient le nom et l’apparence des sacs Hermès, au point de pouvoir induire en erreur le public. Un jury new-yorkais a jugé que les « MetaBirkins » constituaient une contrefaçon, une dilution de marque et un acte de cybersquatting, entraînant une interdiction permanente de vente ou de promotion de ces NFTs. Le jury a estimé que les « MetaBirkins » étaient susceptibles de prêter à confusion quant à leur origine, leur parrainage ou leur affiliation avec Hermès. Cette affaire, conclue en juin 2023 devant un tribunal fédéral de Manhattan, constitue l’un des premiers procès américains fixant des précédents sur la protection des marques dans le contexte des NFTs et du métavers et illustre parfaitement comment une marque peut protéger sa notoriété même lorsque les biens n’existent que dans un environnement virtuel.

b) Juridictions et enforcement

La nature mondiale du métavers complique l’application du droit et pose des défis de territorialité : doit-on appliquer la loi du pays où se situe l’utilisateur, celle où est basée la plateforme, ou bien concevoir un régime juridique spécifique pour ces environnements transfrontaliers ? Par exemple, un utilisateur français peut acheter un NFT créé à Singapour via une plateforme hébergée aux États-Unis : quel droit s’applique dans ce cas ?

Dans la pratique, la plupart des plateformes adoptent une logique de responsabilité partagée. Les créations et contenus (par exemple des vêtements virtuels, des NFTs ou des décors) relèvent en principe de la responsabilité de l’utilisateur qui les met en ligne. Cependant, lorsqu’un contenu porte atteinte à une marque (par exemple un logo utilisé sans autorisation), les titulaires de droits disposent d’outils pour demander son retrait. Ces mécanismes, appelés « notice and takedown », consistent à signaler directement l’infraction à la plateforme, qui doit alors vérifier et, si nécessaire, supprimer ou bloquer le contenu litigieux.

L’efficacité de ces mécanismes varie toutefois fortement selon les plateformes :

  • Sur Roblox ou Fortnite, les signalements de contenus contrefaits entraînent assez vite leur suppression. Cependant, la créativité et l’agilité des utilisateurs permettent parfois de contourner ces mesures, en recréant rapidement des objets similaires sous un autre nom.
  • Dans des environnements décentralisés comme Decentraland et The Sandbox, la situation est plus complexe. Les biens virtuels y sont adossés à la blockchain sous forme de NFTs : une fois créés et enregistrés, ils ne peuvent pas être simplement supprimés par l’administrateur. Les marques doivent donc recourir à des solutions techniques comme les ‘smart contracts’ (programmes automatiques inscrits dans la blockchain qui peut vérifier qu’un NFT est bien émis par le portefeuille officiel d’une entreprise avant d’autoriser sa vente ou son transfert ; cela permet de garantir l’authenticité et d’éviter que des copies circulent comme si elles étaient légitimes) ou à des mécanismes de certification pour différencier l’authentique du contrefait, plutôt que de miser uniquement sur la suppression.
  • Dans VRChat ou Horizon Worlds, la présence d’espaces privés où les utilisateurs peuvent créer et partager librement des contenus rend la modération quasi impossible. Même lorsque les espaces sont publics, la diversité des environnements et la grande quantité de contenus compliquent le suivi et le retrait des objets contrefaits. Cela oblige les marques à combiner surveillance proactive et outils technologiques pour identifier et gérer les violations de leurs droits.

Ces spécificités imposent aux marques de combiner vigilance juridique et veille technologique afin de protéger efficacement leurs actifs immatériels.

c) Jurisprudences marquantes

Plusieurs affaires récentes démontrent l’adaptation du droit des marques aux environnements numériques et immersifs.

  • Outre l’affaire Hermès vs MetaBirkins aux États-Unis développée ci-dessus, Nike a contesté devant les tribunaux en 2022 la vente de ‘sneakers numériques’ par StockX, estimant que l’association de NFTs à des chaussures réelles pouvait induire les consommateurs en erreur quant à leur authenticité. En mars 2025, un juge a statué que StockX était responsable de la vente de baskets contrefaites. Cependant, les deux parties ont réglé l’affaire à l’amiable le 29 août 2025, mettant fin à la procédure judiciaire sans jugement final.
  • En Italie, la Juventus FC a obtenu en 2022 devant la Cour de Rome le retrait de NFTs représentant ses joueurs portant le maillot du club, confirmant que les droits de marque s’appliquent même dans un contexte exclusivement numérique.
  • Devant le Tribunal de l’Union européenne, l’affaire Glashütte Original du 11 décembre 2024 a confirmé que des montres virtuelles pouvaient être perçues comme associées à leurs équivalents physiques, renforçant l’extension de la protection des marques de luxe.
  • À l’inverse, l’EUIPO a rejeté en 2023 des demandes d’enregistrement telles que « METAVERSE FOOD » ou « METAVERSE DRINK », considérant que le terme « Metaverse » manquait de distinctivité et désignait directement un concept générique.
  • Enfin, la Haute Cour de Singapour a reconnu que les NFTs constituaient une forme de propriété immatérielle dans l’affaire Janesh s/o Rajkumar v Unknown Person (“CHEFPIERRE”) [2022] SGHC 264. Dans cette décision rendue le 21 octobre 2022, la cour a accordé une injonction préliminaire pour empêcher la vente ou le transfert d’un NFT spécifique, le Bored Ape Yacht Club ID #2162, détenu par le demandeur. Cette décision a marqué la première reconnaissance officielle des NFTs en tant que propriété légale à Singapour.

Ces jurisprudences démontrent que le droit des marques, bien qu’ancré dans un cadre matériel, s’adapte désormais aux actifs numériques et renforce la sécurité juridique dans le métavers.

d) Les risques de cybersquatting métavers

Un autre défi majeur réside dans le cybersquatting métavers. Certaines entités déposent des marques virtuelles ou des noms de domaine sans intention réelle d’usage, dans une logique de « bad faith », afin de bloquer l’exploitation ultérieure par les titulaires légitimes.

Un exemple emblématique est celui de WhatsApp : plusieurs noms de domaines tels que nftwhatsapp.com ou whatsappnft.click avaient été enregistrés par des tiers. Le WIPO Arbitration and Mediation Center a estimé le 12 octobre 2021 que ces dépôts relevaient de la mauvaise foi, entraînant le transfert des domaines au titulaire légitime. Cette affaire souligne l’importance pour les marques de mettre en place une surveillance proactive et constante sur toutes les classes pertinentes, afin de contrer rapidement les usages abusifs.

3. Perspectives pour l’avenir

Le droit des marques va continuer à évoluer au rythme de l’essor du métavers et des actifs numériques. Plusieurs tendances se dessinent actuellement :

  • Normalisation des classifications : les offices de propriété intellectuelle travaillent à adapter et harmoniser les catégories de dépôt de marques pour inclure explicitement les biens et services numériques, comme les NFTs, avatars ou biens virtuels. Concrètement, cela signifie que chaque classe de marque pourra préciser quels types de produits numériques elle couvre, réduisant ainsi les ambiguïtés et facilitant la protection juridique des actifs immatériels dans le métavers.
  • Émergence de cadres juridiques internationaux : Des initiatives internationales commencent à se structurer pour protéger les marques dans le métavers. L’OMPI organise des discussions sur la compétence et l’opposabilité des droits dans un environnement numérique globalisé. L’EUIPO a publié des lignes directrices pour l’enregistrement des marques liées aux biens et services numériques, comme les NFTs et les biens virtuels. Ces efforts visent à clarifier les règles applicables au niveau international et à harmoniser les pratiques entre juridictions. L’objectif est de faciliter la protection des marques et de renforcer la sécurité juridique des acteurs dans les univers virtuels.
  • Hybridation des outils de protection : les marques vont devoir combiner stratégies traditionnelles (dépôts, surveillance, actions judiciaires) et outils technologiques innovants comme les smart contracts ou le blockchain tracking pour sécuriser leurs droits.
  • Éducation des consommateurs : la vérification d’authenticité deviendra un enjeu crucial. Les utilisateurs devront pouvoir distinguer les biens officiels des contrefaçons virtuelles, notamment grâce à des certificats blockchain ou des systèmes de traçabilité intégrés aux plateformes.

Ces perspectives témoignent d’une convergence croissante entre droit, technologie et pratiques commerciales dans le métavers.

4. Conclusion

Le métavers n’est pas seulement un terrain de jeu numérique : c’est un nouveau champ de bataille pour la protection des marques. Les jurisprudences récentes montrent que le droit des marques s’applique désormais aussi dans les environnements virtuels, mais seuls les acteurs capables de combiner anticipation juridique, innovation technologique et pédagogie auprès des consommateurs sauront protéger efficacement leurs actifs immatériels. Dans ce futur numérique, la valeur d’une marque se jouera autant dans le monde réel que dans ses avatars et biens virtuels — et chaque stratégie proactive sera un avantage compétitif décisif.

Dans ce contexte, IFORI joue un rôle clé. En tant que cabinet spécialisé en propriété intellectuelle, droit des technologies de l’information (TIC) et protection de la vie privée, IFORI accompagne les entreprises également dans la protection de leurs actifs immatériels, la négociation de contrats technologiques et la conformité réglementaire. Nous offrons des services tels que le dépôt de marques, la surveillance des usages numériques, la gestion des litiges et l’accompagnement dans le métavers, en combinant expertise juridique et outils technologiques innovants. IFORI se distingue par une approche proactive et personnalisée, visant à sécuriser les droits des entreprises dans un environnement numérique en constante évolution.


Projets